Fred Reno, professeur de science politique, directeur du CAGI (centre d’analyse géopolitique et internationale)
Si la diffusion massive et amplifiée d’un objet sur les réseaux sociaux est un indicateur de succès, à l’évidence l’auteur de la loi du 23 novembre 2016 sur l’action extérieure des collectivités, a déclenché un intérêt pour la coopération.
Le plaidoyer de l’exécutif martiniquais est particulièrement intéressant et présente l’avantage de susciter de réelles interrogations sur le sens la diplomatie territoriale.
D’emblée, il a cherché à rassurer.
Il assume pleinement son double positionnement de français-européen et de caribéen.
Son propos n’est pas une attaque contre l’État, ni un discours séparatiste. En réalité, il veut concrétiser la notion de démocratie territoriale de proximité énoncée en son temps par Laurent Fabius ministre des affaires étrangères entre 2012 et 2016. « J’ai eu une espérance forte lorsqu’en 2016 j’ai élaboré la loi sur la coopération et la diplomatie territoriale », mais comment faire de la diplomatie territoriale sans pouvoir ? interroge l’auteur de la loi.
« Nous n’avons pas le pouvoir de signer des accords de coopération »
Cette loi Letchimy, insuffisamment connue, élargit le périmètre géographique de la coopération au continent américain pour nos territoires, à l’Afrique et à l’océan indien pour les autres. Elle préconise aussi des accords-cadres avec plusieurs pays dans plusieurs domaines sur une mandature, ce qui simplifie la procédure de coopération et donne plus de visibilité et de consistance aux échanges. Le tout étant soumis pour accord aux autorités compétentes pour répartir les domaines possibles de négociation entre l’État et la collectivité.
Il s’agit d’avancées peu exploitées parce que les conditions de leur mise en œuvre ne sont pas réunies. Ce qui suit en témoigne.
« Nous sommes à l’OECS, je ne veux pas y être comme invité. Je veux être un acteur du développement aux cotés de Sainte-Lucie et la Dominique nettement, clairement avec le pouvoir de décider ». Le constat est amer : « nous n’avons pas le pouvoir de signer des accords de coopération, pas le pouvoir de négocier transversalement et directement avec les États autour de nous ».
La question finale est d’une grande actualité : « Comment doter les collectivités locales d’un pouvoir de négociation dans une nouvelle ère de la diplomatie territoriale ? » condition d’une plus grande responsabilité face à nos partenaires, ajoute Serge Letchimy.Ce discours est certainement une des interventions politiques les plus crédibles, aujourd’hui, dans ce contexte d’atermoiements sur le changement statutaire. Il n’est pas détachable de la vision de son auteur sur la nécessaire évolution des relations de nos collectivités avec la république française dans le sens de la responsabilité et d’une nécessaire autonomie dans la prise de décision. Ce plaidoyer courageux est révélateur des ambiguïtés de la diplomatie territoriale.
En réalité, la diplomatie territoriale n’existe pas dans nos territoires.
Un plaidoyer courageux
Enoncée dans le cadre d’une France historiquement centralisatrice et jacobine, cette notion est une illusion parce qu’elle fait croire ce qui n’est pas.
Oui, il y a une diplomatie sur le territoire mais elle n’est pas du territoire. Au mieux elle se fait avec le territoire mais n’est pas le fait du territoire. C’est la diplomatie de l’État qui s’y déploie. Elle est donc territorialisée et s’appuie notamment sur les acteurs du territoire pour gagner en légitimité. Letchimy l’a bien compris lui qui veut être un acteur autonome qui décide. Lui qui, en 2014 lors de la 11ème conférence de coopération, avait déjà déclaré « je ne peux pas supporter de signer des documents avec un État ou un pays voisin… épi mwen pé pa dèyè sa mwen ka di a !… Qu’on ne me fasse pas signer des déclarations d’intention de coopérer. »
Les acteurs locaux n’ont pas de pouvoirs diplomatiques
L’importance croissante des acteurs non-étatiques sur la scène internationale n’enlève pas à l’État l’exclusivité du domaine diplomatique.
Sauf à voir de la diplomatie partout et d’en parler comme on parle de tact, d’habileté à gérer une affaire, sauf à confondre le diplomate avec tout individu porteur de ces qualités, la diplomatie est avant tout une relation exclusive entre États. Les acteurs, les processus et les lieux d’exercice de la diplomatie relèvent des autorités étatiques.
Le pouvoir central supporte mal la para-diplomatie (ou diplomatie parallèle).
La « diplomatie territoriale » dans ses manifestations les plus visibles s’exerce le plus souvent par délégation comme un maire exerce des compétences d’état civil au nom de l’État.
Qui sait, par exemple, que la convention d’adhésion de la Guadeloupe à l’OECS est signée par le président du conseil régional au nom du ministre des affaires étrangères français entre l’OECS et la république française ?
Il s’agit d’après le décret du 20 janvier 2020 d’un « accord entre le gouvernement de la République française et l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO) concernant l’adhésion de la région Guadeloupe à l’OECO en qualité de membre associé ».
Les acteurs locaux n’ont pas de pouvoirs diplomatiques parce que la diplomatie est et demeure une compétence hautement régalienne.
L’expérience de chargés de mission des collectivités dans les ambassades a été un échec. Les seuls agents qui assuraient symboliquement la représentation « diplomatique » de nos collectivités n’ont pas été renouvelé parce qu’ils n’étaient pas suffisamment formés, pour certains, mais surtout parce qu’ils n’avaient pas un statut à la hauteur des attentes de la fonction. Sur ce terrain la loi Letchimy a tenté là aussi d’innover.
Les recommandations du président de la CTM ne constitueraient pourtant pas une exception. Elles sont déjà mises en œuvre dans certains pays qui associent leurs collectivités locales aux négociations sur des affaires qui concernent le niveau infra-étatique. Les exemples du Québec et de la Belgique fédérale pourraient inspirés l’Etat centralisateur français. Un pouvoir de négociation et de décision sur les questions relevant des compétences locales dans le respect concerté des prérogatives de Paris et de Bruxelles est concevable « dans une nouvelle ère de la diplomatie territoriale » qui serait finalement l’acte de naissance de la diplomatie territoriale.