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Le Chevalier de Saint-George, une légende métisse enfin réhabilitée

28 April 2025
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À l'occasion de l'anniversaire du décret d'abolition de l'esclavage, une plaque commémorative a été inaugurée ce 27 avril dans le 6ᵉ arrondissement de Paris en hommage au Chevalier de Saint-George. Une reconnaissance tardive pour ce génie métis du XVIIIᵉ siècle, dont la vie hors norme oscille entre musique, escrime et engagement révolutionnaire.. 

Né le 25 décembre 1745 en Guadeloupe, Joseph Bologne est le fils d'une esclave africaine et d'un riche planteur, Georges de Bologne Saint-Georges. Son père, contraint de quitter l'île après un duel, l'emmène en France où il reçoit une éducation digne de la noblesse. 

Au collège, le jeune Joseph excelle autant dans les études que dans les arts martiaux. À 13 ans, il devient l'élève du célèbre maître d'armes La Boëssière, qui lui enseigne l'escrime avec une rapière, une arme alors réservée à l'aristocratie. Parallèlement, il étudie la musique avec le compositeur Jean-Marie Leclair, puis avec François-Joseph Gossec. 

Le Mozart noir : un compositeur virtuose 

Dès les années 1770, Saint-George s'impose comme l'un des plus brillants violonistes d'Europe. Ses concertos, d'une technicité époustouflante, rivalisent avec ceux de Haydn. En 1773, il prend la direction du Concert des Amateurs, qu'il transforme en l'un des meilleurs orchestres parisiens. 

Marie-Antoinette, séduite par son talent, le fait jouer à Versailles et le propose en 1776 pour diriger l'Opéra royal. Mais une pétition de chanteuses, "elles ne peuvent se produire sous les ordres d'un mulâtre" fait capoter sa nomination. Un racisme qui ne l'empêche pas de composer six opéras, dont "Ernestine", considéré comme le premier opéra écrit par un Noir. 

"Le dieu de l'épée" : des duels légendaires 

En 1766, à seulement 21 ans, Saint-George défie en duel le maître d'armes Alexandre Picard, qui avait publiquement douté des capacités d'"un sang-mêlé". Sa victoire éclatante fait la une des gazettes. 

En 1787, son combat contre le Chevalier d'Éon, espion travesti et célèbre bretteur attire des milliers de spectateurs à Londres. Les journaux britanniques le surnomment "le Mozart des armes", tant ses passes d'armes semblent chorégraphiées comme une partition.

Un révolutionnaire en uniforme 

Quand éclate la Révolution, Saint-George s'engage avec ferveur. En 1792, il crée la "Légion franche des Américains", premier régiment français composé de soldats noirs et métis, dont fait partie le futur général Dumas (père de l'écrivain). 

Mais en 1793, accusé à tort de complicité avec le général Dumouriez (passé à l'ennemi), il est jeté en prison pendant 18 mois. Libéré après la chute de Robespierre, il meurt dans l'oubli en 1799, quelques années avant que Napoléon ne rétablisse l'esclavage en 1802. 

Pendant deux siècles, son histoire est occultée. Il faut attendre les années 2000 pour voir sa réhabilitation : 

- 2004 : Claude Ribbe publie une biographie choc 

- 2013 : Une rue lui est dédiée dans le 17e arrondissement 

- 2022 : Renaud Capuçon enregistre ses concertos 

- 2023 : Sortie du film "Chevalier" produit par Disney 

Un symbole pour la France multiculturelle 

Plus qu'un hommage historique, cette cérémonie interroge notre rapport aux héros métis. Le Chevalier incarne cette "France noire" dont parle l'historien Pascal Blanchard : à la fois totalement intégré et sans cesse renvoyé à ses origines. 

 

Alors que le rapport Ndiaye-Rivière préconise depuis 2021 d'inclure ses œuvres à l'Opéra, le chemin vers une pleine reconnaissance semble encore long. Mais comme l'écrivait Dumas (dont le père servit sous ses ordres) : "Les grands hommes sont comme les étoiles, il faut du temps pour que leur lumière nous parvienne."