David Rousselin avait gravi les échelons de l’armée, de mécano à adjudant, il encourt 3 ans de prison dont 18 mois ferme, il a été pris à Matoury avec 27 kg de cocaïne dans sa valise Guyaweb, site d’information et d’investigation en Guyane

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Exclusif : 9 ans que Guyaweb suit l’enquête…

Le 12 juin 2015, David Rousselin 42 ans s’apprête à s’envoler à bord d’un Airbus militaire au départ de l’aéroport de Matoury  à destination de Paris – Charles-de-Gaulle. 

Mais 27 kilos de cocaïne ont été trouvés dans sa valise.

Adjudant et chef de cabine dans l’armée de l’air, rattaché à la base aérienne de Creil (Oise), il était un habitué des vols transatlantiques entre la métropole et la Guyane

La juridiction de Cayenne -pourtant compétente pour connaître des infractions en matière militaire et de sûreté de l’Etat- avait, par la suite, été dessaisie de cette affaire, en toute discrétion au profit de celle de Lille, également compétente en la matière.

9 ans après, son procès s’est tenu, mardi à Lille, avec une présumée complice Nachkla B. affectée comme lui à la base de Creil et trois autres prévenus.

Le vendredi 12 juin 2015 dans l’après-midi, 27 kilos de cocaïne avaient été trouvés au cours d’un contrôle douanier à l’aéroport Félix Éboué de Matoury, dans la valise d’un steward militaire de 42 ans, David Rousselin, selon les autorités judiciaires de l’époque.

L’homme était censé embarquer le même jour pour un vol à destination de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle dans un avion Airbus appartenant à l’armée française ou affrété par celle-ci.

Ce type d’avion assurant « des vols qui servent à transporter les personnels de l’armée » m’avait précisé à l’époque, la procureure adjointe en fonction, Isabelle Arnal.

Autrement dit, un avion préposé au transport des troupes.

Vendredi 12 juin 2015 en soirée, écrivions-nous alors, Isabelle Arnal avait co-saisi trois services d’enquête dans ce dossier sensible.

Parmi les trois services d’enquêteurs saisis, deux services nationaux : la section de recherches de la gendarmerie de l’air (qui n’est pas la section de recherches de la gendarmerie de Cayenne, la gendarmerie de Guyane n’étant alors pas saisie dans cette affaire) et l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), «un service de police qui n’a pas encore d’antenne en Guyane», précisait alors la procureure adjointe.

L’OCTRIS avait fini par avoir son antenne en Guyane, dans les années qui avaient suivi.

Ce service s’appelle aujourd’hui l’OFAST, l’Office anti-stupéfiants.

Troisième service d’enquêteurs saisi alors dans ce dossier, la Direction Interrégionale de la Police Judiciaire (DIPJ) des Antilles-Guyane « qui peut travailler en s’appuyant sur la police judiciaire de Cayenne » avait encore précisé à l’époque Isabelle Arnal.

Quant à l’avion militaire -soulignions-nous à l’époque-, il était -comme initialement prévu- bien arrivé samedi 13 juin 2015 à destination à l’aéroport Roissy Charles De Gaulle dans l’Hexagone, nous confiait à l’époque une source judiciaire mais sans l’adjudant-steward pincé la veille avec 27 kilos de coke.

Il pouvait difficilement dire que la drogue avait pu être mise dans sa valise à son insu (Le procureur Ivan Auriel, 16 juin 2015)

Mardi 16 juin suivant, le procureur de Cayenne de l’époque Ivan Auriel (depuis décédé) avait confié à l’auteur de ces lignes que le sous-officier de l’armée française exerçant les fonctions de steward avait reconnu en garde à vue qu’il transportait volontairement de la drogue dans sa valise, le vendredi précédent à l’aéroport Félix Éboué de Matoury.

« Il ne pouvait pas nier l’évidence. 27 kilos, cela fait tout de même un certain poids. Il pouvait difficilement dire que la drogue avait pu être mise dans sa valise à son insu », m’avait alors déclaré le procureur (voir cet article).

L’adjudant David Rousselin aurait alors indiqué qu’il transportait cette drogue «pour la remettre à des tiers dans l’Hexagone », rapportait sobrement Ivan Auriel à l’époque.

La garde à vue pouvant durer 96 heures dans une affaire de stupéfiants, le sous-officier Rousselin avait alors été présenté devant un magistrat du parquet mardi 16 juin à l’issue de sa garde à vue débutée 4 jours plus tôt le vendredi 12 dans l’après-midi.

L’homme avait ensuite été présenté devant la juge d’instruction en charge de l’enquête à l’époque, Olivia Demoustier, l’ouverture d’une information judiciaire ayant alors été préalablement requise par le parquet.

David Rousselin avait alors été logiquement mis en examen notamment pour « détention, transport et exportation (ou tentative d’exportation) de stupéfiants » ainsi que pour « participation à une association de malfaiteurs ».

Il avait été placé en détention provisoire ce même mardi 16 juin 2015 par un juge des libertés et de la détention qui avait suivi les réquisitions du parquet en la matière.

Le steward a mis en cause cette femme militaire comme étant la personne qui l’a mis en contact avec les trafiquants»

En garde à vue, le sous-officier avait alors préalablement mis en cause une femme militaire, impliquée selon lui dans ce trafic.

« Le steward a mis en cause cette femme militaire comme étant la personne qui l’a mis en contact avec les trafiquants», m’indiquera en effet vendredi 19 juin 2015, le procureur de la République Ivan Auriel avant d’ajouter, « cette femme est en train d’être amenée par avion vers Cayenne ».

L’intéressée avait, les jours précédents, était placée en garde à vue dans l’Hexagone, suite aux déclarations de Rousselin aux enquêteurs, notions-nous alors.

Avant d’être donc transférée le 19 juin 2015 par avion vers la Guyane.

L’affaire étant en effet entre les mains de la juridiction de Cayenne car selon un décret co-signé le 3 décembre précédent par la Garde des Sceaux de l’époque, la… Guyanaise Christiane Taubira, le premier ministre Manuel Valls et le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian (décret à consulter ici en cliquant), la juridiction de Cayenne avait alors été, en outre-mer, la seule à conserver sa compétence pour les affaires militaires au 1er janvier 2015.

Et sa compétence en matière militaire englobait même alors, depuis cette date, le périmètre des Antilles.

A l’inverse, selon ce décret, La Réunion, La Nouvelle-Calédonie, Tahiti, Saint-Pierre et Miquelon avaient été rattachés à la juridiction de Paris pour ce type d’affaires.

C’est donc le parquet de Cayenne, compétent en la matière, qui avait rédigé, en fin de journée du 19 juin 2015, des réquisitions de mise en examen à l’encontre de cette femme militaire amenée devant la juge d’instruction en charge de ce dossier, Olivia Demoustier.

Il y a une tentation pour ces gens qui voyagent dans le monde entier mais les conséquences sont désastreuses. Je pense notamment aux membres de la famille du militaire inquiété. Ce militaire sera invité à quitter l’armée

Ce 19 juin 2015, je me glissais au bilan Harpie de la lutte contre l’orpaillage illégal bien décidé à obtenir une réaction du général Philippe Adam (1) sur cette affaire de drogue, le commandant supérieur des forces armées en Guyane, mutique jusque-là sur cette affaire, étant traditionnellement présent aux bilans Harpie, à l’époque semestriels.

« C’est une affaire malheureuse. Il y a une tentation pour ces gens qui voyagent dans le monde entier mais les conséquences sont désastreuses. Je pense notamment aux membres de la famille du militaire inquiété. Ce militaire sera invité à quitter l’armée », avait alors commenté ce vendredi 19 juin 2015, le général Adam, entrepris sur le sujet, à l’issue du bilan Harpie, avant d’ajouter qu’à sa connaissance « aucun militaire de Guyane » n’était impliqué dans cette affaire.

Ce même vendredi 19 juin 2015, dans l’après-midi, la femme militaire de la base de Creil, suspectée dans cette affaire était donc arrivée sous escorte policière par avion en Guyane en provenance d’Orly.

Cette femme militaire de 37 ans à l’époque, notions-nous, placée en garde à vue en région parisienne les jours précédents, avait été mise en examen dans la foulée ce jeudi 19 juin 2015 au Palais de justice de Cayenne par la juge d’instruction Olivia Demoustier pour «complicité de transport, de détention, de produits stupéfiants » pour «complicité d’exportation de produits dangereux non autorisés en contrebande», une infraction douanière, et pour « participation à une association de malfaiteurs », avait-on appris ce vendredi soir-là auprès de la procureure adjointe Isabelle Arnal qui assurait la permanence (hiérarchique) au parquet guyanais.

Elle avait alors été placée en détention provisoire dans la soirée du même 19 juin 2015 au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly par ordonnance du juge des libertés et de la détention qui avait donc suivi les réquisitions du parquet sur ce point.

Débats à huis clos devant le juge des libertés et de la détention

Dans cette affaire sensible, notions-nous encore à l’époque, les débats devant le juge des libertés et de la détention (JLD) dont le principe est pourtant la publicité (2), s’étaient tenus à huis clos, à la demande du parquet, tant pour le débat contradictoire concernant David Rousselin mardi 16 juin 2015 que s’agissant de celui concernant la femme militaire de 37 ans, le vendredi suivant en soirée.

« Des éléments de l’enquête sont susceptibles d’être dévoilés lors de ce type de débat et nous ne tenons pas à ce qu’ils soient médiatisés », m’avait expliqué mercredi 17 juin 2015, Marie-Noëlle Collobert, la magistrate de permanence du parquet, pour justifier le « huis clos» demandé par le parquet la veille déjà, lors du débat devant le JLD concernant le sous-officier impliqué dans cette affaire.

« Le principe de ce type de débat est la publicité mais le code de procédure pénale prévoit des exceptions » avait, pour sa part, glissé le vendredi 19 juin 2015, la procureure adjointe Isabelle Arnal pour justifier le « huis clos » également de rigueur concernant la femme militaire, passée devant le JLD vers 20h15, ce vendredi-là, au Palais de Justice à l’époque avenue du général de Gaulle. En l’absence d’un possible regard journalistique donc.

En tout état de cause, quelles que soient les réquisitions d’un parquet ou la demande d’une partie au dossier en matière de publicité ou de non publicité des débats devant le JLD au cours d’une instruction, c’est le JLD en question qui statue sur la publicité des débats.

En juin 2015, manifestement le JLD avait entériné la position (au moins) du parquet dans cette affaire sensible.

Sollicitée au sujet des réponses apportées aux enquêteurs par cette femme ayant le statut de militaire mise en examen puis écrouée, Mme Arnal avait répondu à l’époque que : «le parquet ne souhaite pas faire de déclaration sur la position prise par l’intéressée».

Une affaire partie tambour battant sur le plan judiciaire en Guyane.

Et puis un long silence…

Et pour cause, fin décembre 2020, en me renseignant sur les suites données à cette affaire de drogue, m’inquiétant d’avoir peut-être loupé le procès en Guyane, j’apprenais qu’une toute autre direction avait été prise dans cette affaire : «ce dossier avait fait, par la suite, l’objet d’un dessaisissement, au profit de la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille», selon une source judiciaire me dévoilant cette information inattendue.

Une juridiction qui fait aussi partie (comme Cayenne) des « juridictions compétentes pour connaître des infractions en matière militaire et de sûreté de l’Etat.». Voir ce lien ainsi que, ci-dessous le tableau des juridictions compétentes en la matière à partir de 2015.

Une source judiciaire qui, au demeurant, en l’état, n’a pas donné plus de précisions et davantage d’explications quant aux motifs de ce dépaysement, soustrayant cette affaire de la juridiction guyanaise compétente en la matière.

Sollicité par e-mail, la veille de Noël 2020 sur ce dossier, afin de savoir, si la juridiction de Cayenne avait fait l’objet d’un dessaisissement de cette affaire durant ses fonctions de procureur de la République en Guyane (de septembre 2015 à début décembre 2018) ou auparavant sous Ivan Auriel (aujourd’hui décédé), le procureur Éric Vaillant, devenu depuis procureur de Grenoble, avait indiqué sans plus de précision, se souvenir de cette affaire et nous avait orienté vers le parquet de Lille.

Le parquet de Lille a fini par nous répondre mercredi 6 janvier 2021 par la voix de Cédric Leux chargé de mission politique judiciaire de la ville et relations presse du parquet du Tribunal judiciaire de Lille : « S’agissant de l’affaire que vous évoquez, l’information judiciaire est toujours en cours et devrait s’achever courant 2021. »

9 ans après… s’ouvre le procès

Finalement le procès de cette affaire s’est tenu à Lille cette semaine, plus précisément mardi devant la chambre des affaires pénales militaires du tribunal correctionnel de Lille (Nord).

Il aura donc fallu, 9 longues années pour juger une affaire de drogue impliquant des militaires via la case Guyane.

Le Parisien raconte le parcours d’un homme ordinaire, David Rousselin marié, père de 2 enfants, employé dans une banque en CDI.

Si, aujourd’hui, il porte un costume bleu et des chaussures de ville, le quinquagénaire avait l’habitude, il y a dix ans, d’enfiler un uniforme : celui de militaire au sein de l’armée de l’air, rattaché à la base aérienne de Creil (Oise).

En vingt-trois ans, il y avait gravi les échelons, de « mécano » à « chef de cabine », jusqu’au grade d’adjudant avant d’être contraint à changer de carrière.

Avant de tout perdre à cause de la découverte, le 12 juin 2015 de près de 30 kg de cocaïne dans ses bagages.

« J’ai mis un pied là où il ne fallait pas. » explique-t-il.

(2) Suite à la désastreuse affaire d’Outreau, depuis la fin des années 2000, afin d’apporter un regard plus démocratique à l’instruction, lors du débat contradictoire devant le JLD, celui-ci est censé statuer en audience publique à partir du moment où la personne est majeure, ce qui est le cas dans ce dossier. Une circulaire du ministère de la justice était ainsi allée dans ce sens en 2007. Toutefois, selon l’article 145 du code de procédure pénale, «le ministère public, la personne mise en examen ou son avocat peuvent s’opposer à cette publicité si l’enquête porte sur des faits visés à l’article 706-73 (et, parmi ces faits, est mentionné le trafic de stupéfiants) ou si (par exemple)» cette publicité du débat devant le JLD «est de nature à entraver les investigations spécifiques nécessitées par l’instruction ».