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Kourou : ce que révèle le rapport accablant de la Chambre régionale des comptes | Guyaweb, site d’information et d’investigation en Guyane

27 March 2025
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Kourou : ce que révèle le rapport accablant de la Chambre régionale des comptes
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À un an des élections municipales, un nouveau rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) épingle la gestion des finances publiques de la ville spatiale. Engagée avec l’Etat depuis 2018 dans un contrat de redressement, la commune ne tiendra pas les objectifs de retour à l’équilibre fixés par la CRC. Ses charges de fonctionnement restent trop élevées, tandis que ses ressources ne cessent de diminuer. Malgré « des efforts » de la municipalité pour limiter sa masse salariale, la Chambre régionale des comptes pointe de « nombreuses et graves irrégularités » dans la gestion budgétaire de Kourou. 

Kourou n’arrive pas à redresser ses finances. Depuis des années, sa trajectoire budgétaire est loin d’être « nominale » pour paraphraser les ingénieurs du Centre spatial guyanais. Maire depuis 2014, François Ringuet, membre de Guyane Rassemblement, parrain d’Emmanuel Macron lors des présidentielles 2022, puis devenu référent Horizons (le parti d’Edouard Philippe) en Guyane, a hérité d’une situation financière dégradée en prenant les rênes de Kourou. Mais depuis presque deux mandats, l’équilibre budgétaire n’a toujours pas été rétabli.

La Ville, placée en redressement en 2015, est pourtant engagée depuis 2018 dans un plan de retour à l’équilibre budgétaire, via un contrat signé avec la préfecture de Guyane et la Direction générale des finances publiques (DGFIP). Cet accord devait permettre d’assainir les comptes de la commune. Dans ce cadre, son budget est validé chaque année par la préfecture. Et la gestion de ses finances est régulièrement scrutée par la Chambre régionale des comptes, basée en Guadeloupe et chargée du contrôle budgétaire des collectivités territoriales des Antilles et de la Guyane.

Plombée par des dépenses de fonctionnement non pondérées, Kourou s’est d’abord engagée à rééquilibrer son budget pour 2019. Ce délai a ensuite été prorogé jusqu’en 2024, par une décision de la Chambre régionale des comptes de novembre 2020, compte tenu des difficultés budgétaires persistantes de la commune. Un nouveau rapport de la CRC, portant sur les exercices 2019 à 2024 et rendu public la semaine dernière, indique que le retour à l’équilibre n’est toujours pas effectif. Le budget primitif 2024 laisse apparaître « un résultat prévisionnel de la section de fonctionnement dégradé de 5,3 millions d’euros » par rapport à la trajectoire définie par le plan de redressement.

Kourou « s’éloigne même de la cible » nous confie le directeur de la CRC, Pierre Grimaud, joint par téléphone. Son déficit « continue de se creuser ». Il atteignait -12,9 millions en fonctionnement en 2022, divergeant de presque 9,4 millions des objectifs fixés par la Chambre. Et ce, malgré deux tentatives de renflouement des caisses, en 2017 et 2022, par la vente des parts détenues par la Ville dans la Société immobilière de Kourou (Simko). La mairie a ainsi vendu en 2017 75% de ses parts (96 600 titres) à CDC Habitat, une filiale de la Caisse des dépôts et consignation (CDC) détenue par l’Etat, pour 16,5 millions d’euros, puis le reliquat des parts en mai 2022 pour 8 983 800 d’euros. Soit près de 27 millions d’argent frais injecté dans les caisses de la Ville durant les deux mandatures de François Ringuet. Mais ces recettes n’ont fait que « masquer les difficultés de la commune » selon la CRC et elles n’ont pas permis à Kourou de « retrouver une capacité d’autofinancement positive » lui donnant la possibilité de « financer seule ses investissements« .

Aujourd’hui, la Ville ne dispose plus de marges de manoeuvre pour rééquilibrer ses comptes, ses actifs ayant été vendus. En 2022, pour combler son déficit structurel de ressources, la Ville a même reversé à son budget principal les bénéfices des régies de l’eau et de l’assainissement, excédentaires de près de 8 millions d’euros, avant d’être épinglée par la Chambre régionale des comptes puisqu’un tel rééquilibrage est illégal. Ces redevances payées par les usagers de ces services doivent en effet exclusivement financer la distribution d’eau potable et le fonctionnement de l’assainissement, et non le budget principal de la commune plombé par des dépenses de fonctionnement astronomiques pour une ville de cette taille (24 851 habitants au 1er janvier 2024).

De « nombreuses et graves irrégularités » 

Depuis cinq ans, Kourou a tout de même diminué sa masse salariale, passant de 30,7 millions d’euros en 2019 à 28,4 millions en 2022 suite à la suppression de 100 équivalents temps plein (ETP) dans ses effectifs. Ces « efforts » restent cependant « insuffisants » selon la CRC. La commune continue d’employer 703 agents et de vivre au-dessus de ses moyens. Un exemple emblématique de ce train de vie est illustré dans le rapport de la CRC par les dépenses rattachées au cabinet du maire, notamment aux services de l’événementiel et à la communication. Ceux-ci emploient emploient 17 agents et ont dépensé 3,2 millions d’euros de 2019 à 2023, « aggravant la situation financière de la commune« . Ces sommes allouées aux concerts et festivals « excédent les moyens » de Kourou qui « produit une offre événementielle supérieure à la strate de communes de même taille. En Guyane, elle est la plus active dans ce domaine avec Cayenne« , indique la CRC.

La Ville réalise de gros événements festifs tels que « Kourou plage », mais participe aussi à des évènements moins importants organisés par des associations de la commune « en mettant en place du matériel, des agents et parfois même en achetant du matériel ou des prestations de service » souligne la CRC. Plus surprenant, elle prend également part activement à l’organisation de festivals payants tels que Smile ou Whycella. Ces événements lucratifs sont pourtant portés par des structures privées, mais ils bénéficient de l’apport important de la commune (podium, son, lumière, sécurité, personnel et prestations publicitaires), sans justification et dans une opacité qui interroge la CRC.

Rattaché directement au cabinet du maire, le service événementiel est emblématique « des errements et des irrégularités » pointés par la CRC dans la gestion de Kourou. Notamment le non respect des principes de la commande publique. Par exemple, pour l’édition 2022 de « Kourou plage », le saucissonnage des marchés publics a permis, sans mise en concurrence, de recourir à plusieurs prestataires pour un montant de plus de 400 000 euros. La commune a également attribué des marchés à des sociétés dont l’activité n’était pas en relation avec la commande. Une entreprise d’événementiel a réalisé une prestation d’élagage et d’espaces verts. Une autre, spécialisée dans les travaux de terrassement, a pris en charge la sonorisation, les jeux de lumière et les frais de disc-jockey.

Pour la Chambre régionale des comptes, la centralisation des responsabilités au sein de ce service « ne favorise pas la transparence et la lutte contre les conflits d’intérêt ». Le chef du service est le seul à assurer l’attribution des chapiteaux et matériels aux particuliers. Il gère également seul les règlements de consultation et les rapports d’analyse des marchés d’événementiel. « C’est également lui qui effectue le choix des entreprises et des prestations dans le cadre des dépenses hors marché, parfois sans respect des règles fondamentales de transparence et de mise en concurrence » souligne la CRC, qui invite la commune à prendre « les mesures nécessaires à la prévention des conflits d’intérêt ».

L’événementiel n’est pas le seul service à évoluer dans l’opacité et à ne pas respecter les règles de base encadrant la commande publique. Dans d’autres services, la commune recourt aussi « régulièrement à des achats irréguliers« . François Ringuet est même allé jusqu’à réquisitionner le comptable pour obtenir le règlement d’une société de voyage à hauteur de 184 655 euros, sur la base d’une délibération pourtant annulée par le tribunal administratif. La mairie devait en effet cette somme à la société Atlas Voyage pour des services de transports et d’hébergements de plusieurs agents et élus en 2019. Or, ces « frais de mission » n’ont jamais été justifiés par une délibération du conseil municipal les autorisant. Ce qui a poussé le préfet de Guyane à déférer au tribunal administratif (TA) la délibération actant le paiement à la société Atlas. Malgré l’annulation par le TA de cette délibération, François Ringuet a tout de même payé l’entreprise en réquisitionnant le comptable de la Ville.

Tout au long de son rapport, de « nombreuses et graves irrégularités » sont dénoncées par la CRC. Le versement des subventions aux associations n’est pas transparent. L’attribution du foncier de la commune, fait sans transparence et en dehors de tout cadre formel, « soulève de nombreuses interrogations » car la commune ne « cherche pas à le valoriser pour augmenter ses ressources » alors que celles-ci se dégradent. La gestion comptable de la commune, affaiblie par le départ de la Directrice administrative et financière (DAF) en janvier 2021, est particulièrement lourde et complexe selon la CRC. Le délai global de paiement des prestataires s’élevait ainsi en janvier 2023 à 103,71 jours, alors que le délai légal est de 30 jours. Fin 2023, la commune conservait encore 6 millions d’euros de factures impayées.

Quant à la gestion des ressources humaines, elle est également jugée « défaillante » par la CRC. La commune n’applique pas la durée légale du temps de travail et finance des heures supplémentaires sans contrôle rigoureux. Elle accorde à son personnel « des avantages irréguliers » (tickets restaurant ou indemnités), elle procède à des recrutements de cadres « en dehors des procédures qui assurent l’égalité de traitement« , elle ne suit pas rigoureusement le taux d’absentéisme « qui pourtant se dégrade« . Et, cerise sur le gâteau, elle continue à rémunérer des agents ayant quitté la Guyane ou étant incarcérés… Dans ces différents cas, près de 100 000 euros de salaire ont été « indûment perçus ».

Kourou s’expose-t-elle à des sanctions ?  

Joint par téléphone, le directeur de la CRC nous a indiqué que toutes ces irrégularités ne peuvent conduire à une sanction directe de la Chambre régionale des comptes, « ses avis n’étant que consultatifs« . La Chambre peut néanmoins saisir la Justice via un article 40, ou saisir la chambre des contentieux de la Cour des comptes. Pour Kourou, une décision a été prise, mais le président de la CRC n’a pas souhaité nous la communiquer.

Selon Pierre Grimaud, la commune ne peut également pas être placée sous tutelle. « Même en cas de saisine de la CRC par la préfecture suite à un budget insincère, la commune récupère sa compétence budgétaire une fois l’avis de la CRC rendu » nous précise-t-il. Une faillite de la collectivité n’est pas non plus envisageable car « l’Etat viendra toujours au secours« , souligne le directeur de la Chambre régionale des comptes Antilles-Guyane. La principale sanction est donc d’ordre politique, d’où la publicité des rapports de la CRC.

À un an des élections municipales qui se tiendront en mars 2026, les conclusions de la Chambre régionale des comptes peuvent en effet compter à l’heure de dresser le bilan de François Ringuet. Elles mettent en évidence « des dysfonctionnements importants dans les RH, la commande publique. C’est une compilation des pratiques anormales sur lesquelles nous avons alerté avant de quitter la majorité« , soutient Michaël Rimane. « La collectivité est dans une dérive dangereuse » ajoute l’ancien adjoint aux sports de la majorité. Un poste qu’il a quitté en 2023, en même temps que sept autres élus de la majorité sur les 29 de l’équipe Ringuet.

Michaël Rimane a par la suite constitué le groupe d’opposition « Avenir et forces kourouciennes ». Le frère du député de la seconde circonscription de Guyane* plaide pour « une politique en totale rupture avec la majorité de François Ringuet » afin de « redresser notre chère ville en ruine« . Selon Michaël Rimane, officiellement seul candidat déclaré à la mairie de Kourou en 2026, la ville spatiale a perdu son attractivité du fait du « manque de vision et de politique d’aménagement » de la majorité actuelle. Kourou a en effet vu le départ de plus de 1 000 habitants entre 2016 et 2020 selon la CRC.

Opposante historique de François Ringuet et ancienne membre de la majorité municipale de son prédécesseur Jean-Etienne Antoinette, Line Létard (Walwari) va plus loin. Elle compte « porter plainte » contre François Ringuet à l’aune des révélations de la CRC, que l’ancienne conseillère municipale d’opposition estime « encore en deçà de la réalité« .

« Enfin des autorités se mouillent pour dénoncer ces faits graves qui perdurent depuis des années » ajoute-t-elle. Selon Line Létard, la commune est gangrénée par un « système clientéliste et mafieux« . Elle dénonce l’opacité des décisions de la Mairie, le manque d’accès aux délibérations de la Ville ou aux comptes-rendus des conseils municipaux. « L’argent est pris aux Kourouciens pour financer les copains-coquins et pendant ce temps, Kourou est dans un piteux état. La ville a dégringolé à tous les niveaux.« 

« Qu’a-t-il fait des 27 millions de la Simko alors que les entreprises ne sont pas payées, que la commande publique s’effondre, que la crèche municipale a fermé ? » interroge-t-elle. « Il ne peut pas dire éternellement que c’est la faute de l’ancienne équipe. » À un an des élections municipales, l’opposition n’a pas encore désigné de tête de liste (Line Létard ? Jean-Etienne Antoinette ?), mais la secrétaire générale de Walwari nous assure qu’elle présentera bien un candidat pour « remplacer ce clown à la tête de Kourou ».

Contacté depuis mercredi matin 26 mars, François Ringuet n’a pas répondu à nos sollicitations.

* Le député Davy Rimane, qui a récemment lancé depuis Kourou son mouvement politique « Asewa », organise une réunion publique sur « les dérives budgétaires de la ville de Kourou » ce jeudi à 19h au Paradisier.

Photo de Une : François Ringuet, maire de Kourou depuis 2014, est sous le feu des critiques de la Chambre régionale des comptes pour sa gestion des finances de la ville spatiale © Marion Briswalter /Archives Guyaweb