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Les quadrilles créoles de Guadeloupe entrent au Patrimoine culturel immatériel

28 November 2025
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Nés de la recréation afro-créole des quadrilles européens, les quadrilles guadeloupéens viennent d'être officiellement inscrits à l'inventaire du Patrimoine culturel immatériel. Une reconnaissance majeure pour cet art chorégraphique emblématique, aujourd'hui fragile mais au cœur de l'identité créole.

L'inscription des quadrilles créoles de Guadeloupe à l'inventaire national du Patrimoine culturel immatériel marque une étape essentielle pour cette pratique historique. La fiche validée par le ministère de la Culture décrit les quadrilles comme une danse née à la fin du XVIIIᵉ siècle, lorsque les populations africaines mises en esclavage se sont approprié les quadrilles importés par les colons. En enrichissant ces danses européennes de leurs propres rythmes, de leurs accents musicaux et de leurs gestes traditionnels, elles ont créé un répertoire entièrement original qui s'est diffusé à travers toute l'île. Pendant près de deux siècles, cette danse structurée en figures successives a animé les bals hebdomadaires, les balakadri, et s'est imposée comme un marqueur central de la sociabilité guadeloupéenne. L'entrée au Patrimoine culturel immatériel souligne l'importance de cette création chorégraphique issue de la résistance culturelle et de l'inventivité créole.

Le dossier d'inventaire met en avant la richesse et la singularité des quadrilles. Cette danse en carré, composée de couples qui enchaînent des figures codifiées, se distingue par une hybridation unique entre héritages européens et apports africains. Les accords d'accordéon ou de violon se mêlent au rythme profond du tanboudibass, tandis que le siyak, les chachas ou les tibois rappellent la créativité instrumentale des populations créoles. Les figures du Pantalon, de l'Été, de la Poule ou de la Pastourelle, héritées des bals européens, sont exécutées selon des esthétiques, des rythmes et des savoir-faire propres à chaque territoire. Le quadrille guadeloupéen témoigne ainsi d'un processus de créolisation dans lequel les danseurs et musiciens ont transformé une danse de maître en un art populaire profondément ancré dans l'identité locale.

Une tradition vivante mais aujourd'hui menacée

Si les quadrilles créoles continuent d'être dansés partout en Guadeloupe, leur transmission repose désormais presque exclusivement sur des associations locales, dont les membres sont majoritairement âgés. Le document d'inventaire souligne le manque de relève parmi les jeunes, dont beaucoup associent encore le quadrille à une pratique figée ou trop liée à l'époque coloniale. Dans des territoires comme Marie-Galante, la situation est particulièrement préoccupante : le seul commandeur encore actif y est octogénaire et ne dispose d'aucun successeur. Les crises récentes, notamment la pandémie de Covid-19, ont encore fragilisé le tissu associatif et accentué les risques d'interruption de la transmission. Malgré cela, une centaine d'associations, dont environ quatre-vingts regroupées au sein de la FREGAQ (Fédération Régionale Guadeloupéenne des Activités de Quadrille), continuent d'animer répétitions, bals et événements culturels, perpétuant une pratique qui demeure vivace et fédératrice. 

Une inscription qui ouvre la voie à une véritable politique de sauvegarde

Grâce à leur entrée dans l'inventaire du Patrimoine culturel immatériel, les quadrilles créoles disposent désormais d'un cadre de reconnaissance susceptible d'accélérer les démarches de sauvegarde. La fiche d'inventaire insiste sur l'urgence de structurer un ensemble d'actions destinées à soutenir cette tradition. Le renforcement de la transmission est identifié comme un enjeu prioritaire, notamment à travers l'introduction d'initiations dans les écoles primaires ou la mise en place de programmes intergénérationnels. Le document recommande également la création d'un conservatoire incluant les danses traditionnelles créoles, la collecte systématique d'enregistrements, la valorisation nationale de la pratique ou encore un appui accru aux associations et aux festivals. L'objectif est de permettre aux quadrilles de continuer à évoluer, à être transmis et à demeurer partie prenante de la vie culturelle guadeloupéenne.

L'inscription des quadrilles créoles de Guadeloupe à l'inventaire du Patrimoine culturel immatériel constitue un symbole puissant. Cette reconnaissance honore l'inventivité des populations mises en esclavage qui ont transformé une danse européenne en un art créole vibrant, profondément ancré dans le vécu et la mémoire de l'île. Elle met également en lumière la force des associations, des musiciens et des commandeurs qui continuent de faire vivre ce patrimoine malgré les difficultés. Surtout, elle ouvre un nouvel horizon : celui d'une valorisation durable qui permettra peut-être aux quadrilles de retrouver une place centrale dans la culture contemporaine, en renouant avec leur vitalité, leur créativité et leur rôle de lien social.