A l’occasion de la visite officielle du président brésilien en France, Luiz Inácio Lula da Silva et Emmanuel Macron ont annoncé jeudi 5 juin la levée des visas pour les ressortissants brésiliens souhaitant se rendre en Guyane. Cette ouverture, qui facilitera la circulation des personnes de part et d’autre de l’Oyapock, illustre un peu plus le réchauffement des relations entre Paris et Brasilia depuis le retour au pouvoir de la figure historique du Parti des Travailleurs. Au bénéfice de la Guyane ?
Après la parenthèse glaciale des relations franco-brésiliennes sous la présidence de Jair Bolsonaro (2019-2022), ouvertement opposé sur de nombreux sujets à son homologue Emmanuel Macron, le rapprochement est à l’oeuvre depuis le retour au pouvoir du président Lula pour un 3e mandat. Au terme de sa visite en Guyane en mars 2024, le président français avait passé près d’une semaine au Brésil, affichant sa proximité avec l’ancien syndicaliste et homme fort du Parti des Travailleurs.
Cette semaine, c’est au tour de Luiz Inácio Lula da Silva de se rendre en France pour une visite officielle de 5 jours, la première d’un chef d’Etat brésilien depuis 13 ans. Jeudi 5 juin, à l’occasion d’une conférence de presse conjointe à l’Elysée lors de laquelle Lula et Macron n’ont pas fait l’impasse sur leurs divergences (lire l’encadré), les deux présidents ont fait plusieurs annonces renforçant les partenariats entre leurs deux pays qui, via la Guyane, partagent une frontière terrestre de 730km, la plus longue frontière terrestre française.
L’environnement, la défense, la justice mais aussi l’intégration régionale – concernant en premier lieu la Guyane – ont été évoqués par les deux chefs d’Etat, qui ont annoncé l’exemption des visas pour les ressortissants brésiliens souhaitant se rendre en Guyane. « Nous sommes deux pays amazoniens et nous n’avons jamais considéré que l’Oyapock devait nous séparer, bien au contraire » a déclaré Emmanuel Macron à cette occasion, soulignant que cet accord était « très attendu pour les habitants de la Guyane, mais également de l’Amapá, du Pará et de l’Amazonas« .
« Nous avons misé sur les bienfaits de l’intégration » a renchéri de sa voie rocailleuse le président Lula. « Même si la France est un pays européen, c’est important que le peuple français sache que la plus grande frontière terrestre qu’il partage avec un pays est la frontière amazonienne. La France est également sud-américaine. La fin du régime différencié des visas vise à faciliter la circulation régulière des personnes entre l’Amapá et la Guyane française. Cela facilitera le tourisme et les échanges commerciaux entre les communautés transfrontalières » a-t-il assuré.
Si la levée des visas a reçu un accord de principe sur la base du régime déjà en vigueur pour les Guyanais, qui n’ont pas besoin de visa pour se rendre au Brésil, aucune date n’a été annoncée sur l’entrée en application de cette convention qui « ouvre la voie des échanges facilités entre nos territoires et renforce les liens de confiance et de coopération entre la Guyane et le Brésil » a souligné le maire de Kourou Francois Ringuet, le plus lusophone des élus guyanais et ami personnel du gouverneur de l’Amapá, Clécio Luis.

Les présidents Lula et Macron tenant une conférence de presse commune jeudi 5 juin à l’occasion de la visite officielle du chef d’Etat brésilien en France, la première depuis 2012 © capture d’écran France 24
Politique asymétrique des visas
Surtout, cette demande de longue date – depuis 2010 selon François Ringuet – vient mettre fin à une politique asymétrique des visas*, qui en raison des délais ou de refus non motivés gênait voire empêchait les Brésiliens ayant de bonnes raisons (chercheurs, entrepreneurs, enseignants, élèves et étudiants, partenaires de projets de coopération scolaire et universitaire, conjoints…) de se rendre en Guyane, sans pour autant contrarier les activités illégales puisque les orpailleurs ou les criminels entrent comme ils veulent sur le territoire guyanais.
Jusqu’ici, l’argument sécuritaire semblait être le noeud gordien de toute ouverture sur la libre-circulation des personnes. En 2023, lors de la 12e Commission mixte transfrontalière (CMT) franco-brésilienne qui s’était tenue à Cayenne, les autorités françaises s’étaient opposées à tout assouplissement du régime des visas. « Nous souhaitons ouvrir davantage pour permettre le développement de l’Amapá et la prospérité de la Guyane, mais nous voulons aussi un environnement sécurisé afin de lutter contre les menaces qui existent sur toute frontière et en particulier sur celle-là. Nous avons besoin d’un espace sécurisé avant d’augmenter les échanges économiques, les flux de personnes et de marchandises entre nos deux pays à travers cette frontière » nous expliquait alors l’émissaire du Quai d’Orsay pour la zone Amérique, la diplomate Michèle Ramis.
Or sans allégement du dispositif des visas, « toute coopération forte et balisée » entre la Guyane et son voisin « est empêchée » soulignait Gabriel Serville, le président de la Collectivité territoriale de Guyane, les atermoiements de Paris sur ce sujet n’aidant pas à établir une relation de confiance avec le Brésil. « C’est normal en retour qu’ils ne consentent pas à faire des efforts sur le sujet de l’immigration par exemple » expliquait Gabriel Serville. Sans avancées sur la libre circulation, cette 12e CMT avait finalement débouché sur peu d’annonces.
En août 2024, lors de la 13e CMT organisée cette fois-ci à Macapá, la France avait quelque peu infléchi sa position et rouvert son service de visas dans la capitale de l’Amapá, après 4 ans d’interruption. Un premier pas vers la facilitation de la circulation des ressortissants brésiliens en Guyane, car jusqu’alors ces derniers devaient se rendre à Brasilia pour obtenir le document administratif, d’un coût de 60 euros et valable 3 à 6 mois, permettant de franchir légalement la frontière.
Avec l’annonce faite jeudi 5 juin, la coopération franco-brésilienne le long de la frontière dépasse enfin les symboles politiques et les déclarations d’intention et ne se limite plus à quelques domaines. En outre, l’accord validé ce jeudi ouvre également la voie au « transfèrement de détenus » brésiliens incarcérés en France vers leur pays d’origine a déclaré Emmanuel Macron. Lors de son déplacement fin mai en Guyane, le ministre de la Justice Gérald Darmanin avait annoncé la négociation d’un avenant à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale signée entre Paris et Brasilia en 1996 afin de permettre l’expulsion vers le pays d’origine de prisonniers sans l’accord préalable du détenu à tout transfert. C’est désormais acté. Près de 500 ressortissants brésiliens sont emprisonnés sur l’ensemble du territoire français, dont « 200 » à la prison de Rémire-Montjoly selon le garde des Sceaux.
14e Commission mixte transfrontalière la semaine prochaine
Ces annonces interviennent alors que la 14e session de la Commission mixte transfrontalière entre la France et le Brésil se tiendra à Cayenne la semaine prochaine, les 11 et 12 juin.
Au programme de ces deux journées d’échanges, sont inscrits le renforcement de la coopération de sécurité pour lutter contre les trafics à la frontière, l’orpaillage illégal et la pêche illicite, le développement des opérations militaires conjointes sur la frontière et le renforcement du centre de coopération policière de Saint-Georges, un outil qui permet de coordonner les actions des forces de l’ordre à la frontière et de partager des renseignements.
L’intensification des échanges économiques entre la Guyane et le Brésil, notamment en améliorant les conditions de transport et de circulation par voies routière, maritime et aérienne, ainsi que la gestion et l’entretien du pont sur l’Oyapock seront aussi évoqués a indiqué la préfecture de Guyane par communiqué.
Enfin, les parties prenantes ont prévu de « faire progresser les coopérations avec l’État de l’Amapá sur des enjeux environnementaux, éducatifs ou sanitaires comme sur les questions intéressant notamment plus particulièrement les communautés amérindiennes des deux côtés de la frontière« .
Maintenant que la libre circulation des ressortissants brésiliens est actée, les autorités brésiliennes seront sans doute plus enclines à faire avancer d’autres dossiers.
Photo de Une : le pont sur l’Oyapock est le seul ouvrage d’art enjambant la plus longue (730 km) frontière terrestre française © Archives Guyaweb
Traité UE-Mercosur, guerre en Ukraine… les points d’achoppement entre Paris et Brasilia
Sourire aux lèvres lors de leur conférence de presse commune, les présidents français et brésilien n’ont pas masqué leur amitié, malgré des points de divergences clairement évoqués. Notamment sur le traité UE-Mercosur, l’accord de libre-échange qui doit permettre à l’Union européenne d’exporter vers l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay plus de voitures, de machines et de spiritueux notamment, en échange de l’entrée de viandes, sucre, riz, miel ou soja sud-américains. Le Brésil pousse pour sa ratification avec l’Union européenne alors que Paris s’y oppose fermement dans sa forme actuelle. Devant la presse, Lula en a profité pour faire un appel du pied à son homologue. « Je vais prendre la présidence du Mercosur pour les 6 prochains mois et je ne quitterai pas cette présidence sans un accord avec l’UE. Par conséquent, cher président Macron, ouvrez un peu votre coeur à cette possibilité de conclure cet accord qui serait la meilleure réponse que nos régions puissent apporter face au contexte incertain créé par le retour de l’unilatéralisme et du protectionnisme tarifaire » a déclaré le président brésilien.L’autre point chaud de cette conférence de presse a concerné le dossier ukrainien et les pourparlers de paix entre Moscou et Kiev qui n’ont jusqu’à présent débouché sur aucun accord concret. Alors qu’Emmanuel Macron est un fervent allié du président ukrainien Volodymyr Zelenski, Lula affiche sa proximité avec Vladimir Poutine et la Russie, un partenaire économique important du Brésil dans le cadre des BRICS. Lula voit dans la guerre en Ukraine la preuve des limites de l’ONU et de son Conseil de sécurité. Au contraire, Emmanuel Macron estime que c’est à travers le multilatéralisme et ses instances que ce conflit doit se résoudre et que le seul pays agresseur dans cette guerre est la Russie. En désaccord sur ce dossier, les deux présidents n’ont pas pour autant versé dans l’indifférence ou l’agressivité. Il paraît que les amis se disent la vérité.
*Du côté de l’Ouest guyanais, les ressortissants surinamais doivent obligatoirement disposer d’un visa pour se rendre en Guyane nous a confirmé la préfecture de Guyane.