A l’initiative de l’association Les Pas mêlés, fondatrice et gestionnaire du tiers-lieu l’Abattis, une quinzaine de fresques ont été créées sur le campus de Troubiran du 25 mai au 10 juin dans le cadre de la 1ère édition du festival Amazonie, dédié aux cultures et traditions amazoniennes.
Rendre l’art accessible à tout le monde. C’est l’objectif que s’est fixé Marvin Yamb, artiste pluriforme ayant un pied dans le cinéma et l’autre dans les arts visuels. Déjà auteur d’un coup d’Etat artistique en 2022 en redonnant vie à un bâtiment de la CTG inoccupé depuis 2015 pour y créer la friche artistique de l’Abattis, l’artiste peintre et réalisateur a réussi un nouveau tour de force avec son association les Pas mêlés* : celui de créer un véritable musée à ciel ouvert en plein coeur du campus universitaire de Troubiran, à Cayenne.
Dans le cadre de la 1ère édition du festival Amazonie (25 mai- 10 juin), une quinzaine de fresques ont été peintes à la digue Ronjon à Cayenne et surtout sur le campus de Troubiran, l’Université ayant donné carte blanche à l’association fondée par Marvin Yamb pour égayer ses immenses murs de béton. Les oeuvres représentent les cultures et traditions amazoniennes dont la valorisation à travers l’art est l’objectif que s’est fixé le festival Amazonie.

Pour l’instant, le festival Amazonie n’en est qu’à sa première édition, mais Marvin Yamb ambitionne de le pérenniser et de le rendre itinérant à travers toute la Guyane © Guyaweb
Les styles des fresques sont aussi variés que les artistes originaires de Guyane, de Martinique, de Guadeloupe ou de l’Hexagone qui les ont réalisées. S’y croisent les graffeurs trentenaires du collectif « Muzé Laru » ou l’artiste Guy Bent de Latégra, âgé de plus de 60 ans et qui incarne une autre génération de saltimbanques. On lui doit notamment les fresques du marché central de Cayenne.
« Le festival a connecté des personnes qui jamais ne se seraient parlé, souligne Marvin Yamb. Il est né de discussions avec des jeunes bénéficiaires des ateliers cinéma que nous faisons à l’Abattis. Ils se plaignaient de l’absence d’un festival d’art et de culture et voulaient des fresques comme ils en voient sur les réseaux sociaux.«
En novembre, le concept est validé. Une vingtaine de jeunes prennent part à l’organisation du festival. « Un moyen de susciter des vocations car la culture, ce sont aussi des métiers aujourd’hui. Cela permet de les rendre acteurs de leur société, de leur environnement. De leur montrer que c’est possible de faire de l’art, d’y prendre part, d’apprendre« , considère le fondateur des Pas mêlés.

Outre le bénéfice esthétique indéniable, le street art « apaise et créé du lien social » estime l’artiste Marvin Yamb © Guyaweb
« L’art apaise »
Le festival s’est ainsi tenu du 25 mai au 10 juin et se conclut ce mardi soir par une soirée « O déjà » organisée à l’Abattis, situé 61 rue Martin-Luther-King derrière la cité Zéphir à Cayenne.
Selon Marvin Yamb, une trentaine de jeunes ont bénéficié des actions portées par le festival : danse (kasékò, gwoka, awassa, hip-hop, songé), ateliers d’écriture, de création musicale, et bien sûr atelier peinture et initiation au graffiti. « C’était audacieux de peindre des fresques en saison des pluies, il y a eu quelques coulures, mais cela montre que rien n’est impossible. Le plus important est d’être dans l’action.«
A peine sèches, les fresques constituent déjà un véritable parcours artistique. Le secteur s’y prête. L’Université et la ZAC Hibiscus sont en effet des lieux de passage et de nombreux promeneurs et joggeurs se pressent en fin de journée dans les allées piétonnes du quartier. « Les gens s’arrêtent quelques minutes pour observer les oeuvres, lèvent les yeux de leurs smartphones, nous font des retours positifs« , raconte Marvin Yamb. « Les jeunes viennent déjà clipper devant les fresques » ajoute-t-il, signe de l’intérêt suscité par les oeuvres des artistes.

Une oeuvre de l’artiste Brady, membre du collectif Muzé Laru, qui a mis en valeur ses origines indiennes © Guyaweb
Selon Marvin Yamb, cet attrait est typique du street art, un art visuel au fort pouvoir d’attraction qui « fédère, crée de la cohésion, du lien. Il maintient la paix sociale car l’art apaise, rassemble. C’est la solution pour ancrer le vivre-ensemble« , estime l’artiste-peintre. L’art visuel fait également partie de l’ossature de l’expression des cultures et traditions de Guyane selon lui. Les plus anciens exemples sur le territoire en sont les roches gravées de la période pré-colombienne. Les fresques ont ainsi une certaine filiation avec ces oeuvres datant de plusieurs siècles.
Enfin, le street art offre aussi à la population un musée à ciel ouvert. Il permet aux personnes éloignées de la culture, qui n’ont pas les moyens ni les codes artistiques, d’avoir accès à l’art. « Amener cet art auprès des jeunes en train de construire leur avenir est également important dans la démarche« , ajoute Marvin Yamb qui a eu l’opportunité de transformer le campus, « mais d’autres lieux s’y prêtent. A terme, on pourrait créer plusieurs parcours artistiques, sur le même principe que la Route de l’art à Mana, et les faire communiquer entre eux. C’est un vecteur touristique.«
Fier de sa culture
Le graffeur « Sensei » est justement originaire de Mana. Il a fait le déplacement pour participer au festival et « poser » sur un des murs du campus, juste en face du restaurant universitaire au pied du tracé du futur TCSP. Il vient tout juste de terminer son oeuvre en y appliquant une ultime couche de vernis. Les mains pleines de peinture, il nous décrit son travail, réalisé avec sa compagne « Hyaro ».
« C’est un portrait d’une femme hmong réalisé à partir d’une photo d’une amie qui vient de Javouhey. » Tout en couleur, un petit rictus rend cette femme apaisante. Tous les aplats ont été faits à l’acrylique, puis les détails et les ombrages à la bombe. En tout, il leur a fallu 4 jours pleins pour réaliser cette oeuvre haute de 6m. Plutôt rapide en somme, grâce à l’expérience de « Sensei » qui peint « depuis tout jeune« .
Lui est indépendant et réalise des fresques au quotidien. « C’est mon métier, je ne fais que ça, auprès de scolaires, en atelier, avec le collectif « Muzé Laru » avec qui on a créé il y a cinq ans le festival Atip’art qui a rajouté beaucoup de fresques dans le paysage et fédéré le petit monde du graff’ en Guyane. Mais il en faudrait encore davantage. Il y a beaucoup de projets à Cayenne, Montjoly, Macouria, Kourou. Ça bouge ! » explique-t-il, fier de faire prospérer le street art en Guyane, un « art qui égaye la curiosité par ses couleurs, sa technicité, son message ».
A 100m de là, Benoît, alias « Scimo », est lui aussi membre du collectif Muzé Laru, créé en 2019 par sept artistes. « Le milieu du graff’ en Guyane est petit et on a décidé de se fédérer« , explique-t-il en train de peaufiner sa fresque. « On a des parcours variés. Certains viennent du design, du graphisme, d’autres des arts appliqués, des beaux arts.«
« Scimo » a commencé par le graffiti, un mouvement qui le fascine « depuis le collège« , avant de faire des études de design et de graphisme. Sa fresque du jour est d’inspiration art tembé. « Je suis parti de la chanson de Rickman « Je suis un Boni », et d’une citation nengue qui signifie « ne renie pas ta culture ». J’aime bien quand il se passe quelque chose sur une pièce, qu’elle fasse réfléchir ou soit revendicative. Il y a beaucoup d’étudiants de l’Ouest sur ce campus et il était important pour moi qu’une part de leur culture y soit représentée. Ce visage est fier, la tête est droite. J’espère que les étudiants ressentiront cela« , explique-t-il.
Quatre jours de peinture et « quelques nuits de préparation en amont » auront été nécessaires pour réaliser cette oeuvre de plusieurs mètres de haut et de large. Le travail a débuté sur un ordinateur, à partir d’une photo-portrait retravaillée et vectorisée pour être plus « graphique ». Les motifs ont été ensuite ajoutés, ainsi que de nombreux calculs géométriques, nécessaires à la réalisation du tembé. Outre la créativité, un tel résultat nécessite un travail de haute précision. Le reste tient au talent de l’artiste qui travaille principalement au pinceau. « La bombe ce n’est pas très écolo, je l’ai utilisée uniquement pour le lettrage et les détails, comme le morpho et la boucle d’oreille.«
Dans ce bijou, le portrait de la jeune femme s’y répète à l’infini. Une mise en abîme qui personnellement nous a fait penser à l’artiste néerlandais Escher et ses motifs répétitifs emboîtés les uns dans les autres. Chacun se fera son interprétation. C’est aussi ça la liberté qu’offre l’art.
Photo de Une : une quinzaine de fresques mettant en valeur les cultures et traditions amazoniennes ont été créées du 25 mai au 10 juin sur le campus de l’Université à Cayenne, dans le cadre de la 1ère édition du festival « Amazonie » © Guillaume Reuge / Guyaweb
*L’association Les Pas mêlés a pour but de valoriser l’art sous toutes ses formes et de structurer les arts visuels et le cinéma à l’échelle du plateau des Guyane. Elle s’occupe aussi du tiers-lieu l’Abattis qui a dû lutter à ses débuts pour exister. Aujourd’hui, le lieu a été rénové. Il est conventionné, labellisé et subventionné mais surtout, rencontre un franc succès. Grâce à lui, différents mondes se côtoient.