Suite à la détection de souches de poliovirus dans les stations d’épuration de Cayenne, Rémire et Saint-Georges, l’agence nationale de santé publique alerte sur le risque de transmission de ce virus potentiellement responsable de paralysies irréversibles, en particulier chez les enfants, les nourrissons et les personnes immunodéprimées. Il s’agit de la première détection de poliovirus dérivés d’une souche vaccinale circulant dans une région en France depuis les années 2000. L’Agence régionale de santé a lancé en conséquence une campagne de rattrapage vaccinal ainsi qu’un programme de surveillance confié à l’Institut Pasteur.
C’est à l’occasion d’un projet de recherche mené en Guyane par l’Agence nationale de recherches sur le sida, les hépatites virales et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) que des poliovirus dérivés d’une souche vaccinale ont été détectés sur le territoire. Ces échantillons ont été collectés entre mai et août dans des eaux usées des stations d’épuration de Cayenne, Remire-Montjoly et Saint-Georges indique Santé publique France (SPF) dans un article du 28 octobre.
Les virus détectés sont issus de la souche contenue dans le vaccin oral de la poliomyélite, selon les analyses effectuées sur les prélèvements. Ce vaccin n’étant pas utilisé en Guyane, ces virus ont donc été « importés par une ou plusieurs personnes ayant reçu le vaccin oral à l’étranger » estime SPF, qui précise que « ces souches n’ont jusqu’à présent pas été identifiées dans d’autres pays« .
Pour rappel, le virus de la polio peut provoquer la poliomyélite, une maladie très contagieuse qui envahit le système nerveux et peut entraîner en quelques heures des paralysies irréversibles, en particulier chez les enfants, les nourrissons et les personnes immunodéprimées.
En cas d’infection par un poliovirus, « le virus se multiplie dans l’intestin et est excrété par les selles d’une personne infectée. Les particules virales présentes dans les selles se retrouvent alors dans les eaux usées » explique Santé publique France. « Comme la plupart des infections par le poliovirus sont asymptomatiques« , la surveillance des eaux usées permet donc de détecter une circulation du virus avant l’apparition d’un cas de paralysie, ce que les souches retrouvées dans les stations d’épuration guyanaises, considérées comme « des souches de poliovirus sauvages« , peuvent provoquer.
D’après l’agence de santé publique, le fait d’avoir décelé ces souches à partir d’échantillons provenant de localisations différentes à au moins deux mois d’intervalle « confirme une transmission interhumaine » et une « circulation silencieuse de PVDV3 (virus de type 3) au sein d’une population guyanaise avec des groupes de population insuffisamment vaccinés » bien qu’aucun cas de poliomyélite n’ait été signalé jusqu’à présent en Guyane.
Cette circulation silencieuse présente néanmoins un risque faible de formes paralytiques (8 sur 10 000 personnes infectées pour les virus de type 3, variable selon l’âge ; risque plus faible que pour les virus de type 1 pour lesquels il est estimé à 1 sur 200). Pour autant, cette détection est la première de VDPV (vaccine-derived poliovirus) circulant dans une région en France depuis les années 2000 et amène les autorités sanitaires à réagir.
Campagne de rattrapage
« Bien que la région Amérique soit considérée indemne de circulation de poliovirus depuis 1994 par l’OMS, cette détection a des conséquences au niveau international » précise SPF. En effet, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a depuis cette alerte rappelé à tous les pays de la région Amérique l’importance de renforcer la surveillance des paralysies flasques chez les enfants, mais aussi chez les adultes. L’OMS a de plus recommandé d’atteindre une couverture vaccinale élevée (95% à 3 doses).
Par ailleurs, les mesures de prophylaxie à destination des personnes voyageant depuis la Guyane ont été renforcées. Les citoyens de l’Union européenne qui résident ou sont des visiteurs de longue durée (plus de 4 semaines) en Guyane doivent se faire administrer une dose supplémentaire de vaccin entre quatre semaines et 12 mois avant un voyage international. « Les voyageurs se rendant en Guyane doivent être vaccinés conformément à leurs calendriers nationaux » complète Santé publique France.
À l’échelle locale, une campagne de rattrapage vaccinal a été lancée par l’Agence régionale de santé (ARS) en milieu scolaire dans les écoles de Cayenne, Rémire-Montjoly, Matoury et Saint-Georges – à destination des élèves non vaccinés ou pas à jour de leur vaccination – et hors milieu scolaire, notamment auprès des nourrissons et enfants non admis en collectivités et qui ne seraient pas à jour de leur vaccination, toujours sur les secteurs concernés par la détection. Pour rappel, la vaccination contre le poliovirus est obligatoire chez les nourrissons.
Enfin, un programme de surveillance environnementale des eaux usées a été instauré et confié à l’Institut Pasteur de la Guyane. Ce programme, qui courra sur un an, est mené en collaboration avec le Centre national de référence des entérovirus (Institut Pasteur Paris) afin de définir l’étendue et l’évolution de la circulation du poliovirus dans les eaux usées en Guyane, et en tirer des conclusions en matière de gestion sanitaire. Il « permettra de vérifier si les mesures mises en place permettent de stopper la circulation de ces souches de poliovirus en Guyane, et de décider d’éventuelles autres actions à mettre en œuvre« , conclut Santé publique France.
Photo de Une : la station d’épuration Leblond à Cayenne fait partie des lieux où ont été décelés des poliovirus © CACL