Syrie: des secouristes fouillent les geôles du pouvoir déchu de Bachar al-Assad, liesse à Damas
Dans les prisons, les rues de Damas et sur les réseaux sociaux, de nombreux Syriens cherchent lundi leurs proches, dont ils ont été séparés par des décennies de féroce répression, au lendemain de la chute de Bachar al-Assad sous la poussée d'une fulgurante offensive rebelle.
Prenant acte de ce tournant historique pour la Syrie, qui met fin à un demi-siècle de règne sans partage du clan Assad, les chancelleries occidentales multiplient les appels à une transition politique sans violences, respectant les droits de tous les Syriens, dont ils font dépendre leur position envers les nouveaux maîtres de Damas.
Le groupe de secours des Casques blancs mène d'intenses fouilles dans la prison de Saydnaya, symbole des pires exactions du pouvoir déchu, aux abords de la capitale.
Invoquant l'existence de "cellules souterraines cachées", il a précisé y avoir déployé "des unités de recherche et de sauvetage, des spécialistes de l'abattage des murs, des équipes chargées d'ouvrir les portes en fer, des unités canines entraînées et des intervenants médicaux".
"Des détenus sont encore sous terre, la prison a trois ou quatre sous-sols", à l'accès verrouillé par des codes, affirme Aida Taha, 65 ans, qui s'y est rendue à la recherche de son frère, dont elle est sans nouvelles depuis son arrestation en 2012.
La veille, de premiers détenus ont été libérés par dizaines, hommes, femmes et enfants hagards, certains trop faibles pour s'extraire des locaux de ce qu'Amnesty international a décrit comme un "abattoir humain".
A Damas lundi, ils déferlent par vagues dans les rues, certains totalement désorientés. Sur les réseaux sociaux, les places, via les médias locaux ou sur des boucles WhatsApp, ceux qui peuvent décliner leur identité, celle d'un proche, le nom d'une rue ou d'une ville partagent leurs informations, dans l'espoir de retrouver leurs proches.
Mais à Damas c'est aussi la liesse, sur la place des Omeyyades où des habitants se sont rassemblés.
"C'est indescriptible, on ne pensait pas que ce cauchemar allait se terminer, on renaît", s'enthousiasme Rim Ramadan, 49 ans, employée du ministère des Finances, sur fond de tirs de joie nourris et de klaxons.
Des réfugiés syriens affluent aussi aux postes frontières avec le Liban et la Turquie.
"Eviter représailles et vengeance"
Le président déchu, qui a dirigé d'une main de fer la Syrie pendant 24 ans, a fui dimanche face à l'offensive insurgée dirigée par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) de Abou Mohammad al-Jolani.
Le Kremlin s'est refusé lundi à confirmer sa présence à Moscou, annoncée par les agences russes.
L'avancée rebelle a fait basculer le pays, y ouvrant une période d'incertitude, après 14 ans d'une guerre civile déclenchée par la répression sanglante de manifestations pro-démocratie, et qui a fait plus de 500.000 morts.
Au moins 910 personnes, dont 138 civils, ont été tuées durant la progression rebelle lancée le 27 novembre, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
"Cette victoire est un triomphe (...) pour toute la communauté musulmane", "la Syrie a été purifiée", a lancé dimanche Abou Mohammad al-Jolani dans la mosquée historique des Omeyyades de Damas.
Le groupe HTS est l'ancienne branche syrienne d'Al-Qaïda qui dit avoir rompu avec le jihadisme, sans réellement convaincre les pays occidentaux, dont les Etats-Unis, qui le classent comme un groupe terroriste.
Lundi, seule une minorité de commerces avait rouvert à Damas, où les institutions, écoles comprises, sont fermées. La Banque centrale syrienne a affirmé lundi que l'argent des déposants était "en sécurité".
De la fumée se dégageait encore des bâtiments des services de sécurité, incendiés la veille. La résidence du président déchu et son palais présidentiel ont aussi été saccagés.
L'ONU a appelé à ce que "les auteurs de violations graves répondent de leurs actes", à la "protection de toutes les minorités" et à "éviter les représailles et les actes de vengeance".
Dans le même temps, l'Allemagne et l'Autriche ont suspendu les décisions sur les demandes d'asile en cours d'exilés syriens, Vienne annonçant préparer leur "expulsion".
- Frappes israéliennes -
A la demande de la Russie, principal allié du pouvoir déchu, le Conseil de sécurité de l'ONU se réunit en urgence lundi à huis clos sur la Syrie. Le Kremlin a jugé lundi "nécessaire" de discuter avec les futures autorités de ses bases en Syrie.
De son côté, le secrétaire général de l'Otan Mark Rutte, a accusé Moscou et Téhéran, autre soutien du pouvoir déchu, de "partager la responsabilité des crimes commis à l'encontre du peuple syrien".
La Turquie, qui soutient des groupes rebelles et accueille des millions de réfugiés syriens, a elle appelé à la "formation d'un gouvernement inclusif".
A Alep, deuxième ville du pays, conquise comme d'autres grandes cités avant Damas par les insurgés, la vie reprend sous le contrôle du "gouvernement de salut" mis en place dans le fief rebelle d'Idleb (nord-ouest) depuis 2017.
"L'eau et l'électricité ont été rétablis", salue Disbina Bidouri, une femme au foyer de 61 ans. "Il est désormais très facile d'avoir du pain", que des "jeunes gens distribuent", dit-elle.
Le chef de la diplomatie israélienne, Gideon Saar, a pour sa part confirmé que son pays avait attaqué ces derniers jours des dépôts militaires, notamment "d'armes chimiques", en Syrie, pour éviter leur prise par les rebelles.
Il a aussi qualifié de "mesure limitée et temporaire" l'avancée la veille des troupes israéliennes en Syrie dans la zone tampon à la lisière de la partie du plateau du Golan occupée et annexée par Israël.
Selon l'OSDH, 11 civils ont par ailleurs été tués dans une frappe de drone turc dans le nord de la Syrie, dans un secteur sous administration kurde, où des combattants kurdes syriens tentent de repousser des attaques de groupes armés soutenus par Ankara.
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