À l’occasion de la niche parlementaire du Parti socialiste, les député(e)s ont adopté une proposition de loi de l’élue martiniquaise Béatrice Bellay (Parti Socialiste) visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires ultramarins. Cette loi, désormais examinée par le Sénat, prévoit notamment d’encadrer les marges de façon expérimentale et de limiter les prix sur une liste de produits de grande consommation.
La niche parlementaire des députés socialistes a permis de rassembler la gauche après les récentes tensions au sein du Nouveau Front Populaire apparues lors du refus des socialistes de voter la censure du gouvernement Bayrou. Jeudi 23 janvier, dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire du groupe présidé par Boris Vallaud, les élus de gauche ont voté à l’unisson une proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en Outre-mer.
Cette proposition, présentée par la députée socialiste de Martinique Béatrice Bellay, vise à faciliter le plafonnement par l’Etat du prix d’un panier de biens de première nécessité pour le ramener au niveau constaté dans l’Hexagone, à lutter contre les monopoles et les oligopoles, et à contrer la toute-puissance de la grande distribution. Elle a été adoptée par 180 voix pour – celles de la gauche et du Rassemblement national – et une seule contre. Les élus du « socle commun » de la droite et du centre se sont abstenus.
« Nous disons stop à cette complaisance envers les rentes économiques qui asphyxient nos territoires » a expliqué la rapporteure du texte, Béatrice Bellay, qui affirme vouloir mettre fin à une « vision coloniale« . Sa proposition de loi visant à « prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution » prévoit notamment une extension du « Bouclier qualité prix » qui permet de garantir l’accès à une liste de produits de consommation courante de qualité à prix modérés.
Elle impose également que les prix négociés soient « équivalents aux prix moyens annuels de vente en France hexagonale« . Les produits de « grande consommation » – comme les aliments pour animaux, les produits ménagers, les produits d’hygiène corporelle – seront intégrés au dispositif, tout comme ceux relatifs à la communication (téléphonie, informatique), à l’électroménager et aux pièces détachées automobiles.
Encadrer la grande distribution
Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a reconnu lors des débats à l’Assemblée nationale que les écarts de prix d’au moins 30% posent un « défi à la cohésion sociale » et il a défini la cherté de la vie « comme une bombe sociale à retardement ». Au nom de la « liberté d’entreprendre », le gouvernement a néanmoins tenté de s’opposer à une disposition interdisant aux grands groupes de distribution de détenir plus de 25% de parts de marché dans un territoire ultramarin. Sans succès, puisque les députés ont maintenu cet article.
Dans l’optique de réguler le secteur, l’Assemblée a voté en faveur d’un moratoire sur l’ouverture de nouvelles surfaces commerciales supérieures à 1000 m² pour les groupes ou sociétés « détenant déjà plus de 15% de part de marché« . Le texte crée aussi une expérimentation d’une durée de cinq ans permettant d’encadrer les marges réalisées par le secteur de la grande distribution dans les Outre-mer et de renforcer les sanctions en cas de non-publication de leurs comptes par les sociétés.
Le Groupe Bernard Hayot (GBH), principal conglomérat en Outre-mer, très présent dans les secteurs de l’alimentation, de l’agriculture ou de l’automobile, est visé par cette disposition, alors que l’entreprise a été enjointe en décembre par le tribunal de commerce de Fort-de-France de publier ses comptes, jugés « opaques« . GBH est accusé par plusieurs lanceurs d’alerte et une enquête du journal Libération de profiter de sa position monopolistique pour gonfler ses marges.
« L’opacité entourant la formation des prix et les marges réelles soulève des questions d’équité » a reconnu Manuel Valls devant l’Assemblée. « Nous attendons du groupe qu’il se conforme pleinement à cette injonction. Transparence, justice, équité, égalité doivent désormais s’imposer, parce qu’il y a un sentiment profond d’injustice. Les grands groupes jouent un rôle d’étouffement de l’économie et du pouvoir d’achat.«
« Régulation économique »
Pour le député guyanais Jean-Victor Castor, cette proposition de loi a permis de mettre le doigt sur une problématique de fond : la « cherté de la vie dans nos pays n’est pas due à « l’éloignement » mais bien aux marges astronomiques de certains groupes en position de monopole, avec la bénédiction de l’Etat« . L’élu a profité de ce débat ouvert sur le coût de la vie pour interpeller le ministre sur le monopole de la SARA dans la distribution des hydrocarbures en Guyane.
Le ministre chargé des Outre-mer a indiqué qu’il solliciterait l’Inspection générale des finances (IGF) sur les situations de monopole. Une réponse jugée poussive par le député, alors qu’un rapport de cette inspection a déjà été réalisé sur la SARA, qui a contesté les conclusions de l’IGF.
En plus de la proposition de loi de la députée socialiste, ce sujet devrait être également débattu au Sénat où une proposition de loi du sénateur guadeloupéen Victorin Lurel (Parti socialiste), visant à « renforcer le droit de la concurrence et la régulation économique outre-mer« , est à l’examen. Le texte a été déposé en décembre et est actuellement entre les mains de la commission des affaires économiques de la Chambre haute.
Enfin, ces propositions législatives devraient permettre de répondre en partie aux revendications exprimées en Martinique lors des manifestations contre la vie chère, fin 2024. L’adoption en première lecture par l’Assemblée des mesures d’urgence contre la vie chère intervient d’ailleurs en plein procès du leader du RPPRAC, le collectif à l’origine de ces manifestations contre le coût de la vie.
Rodrigue Petitot a en effet été jugé cette semaine à Fort-de-France pour avoir pénétré dans l’enceinte de la préfecture en novembre, en pleine visite du ministre des Outre-mer de l’époque, François-Noël Buffet. Il était aussi poursuivi pour des « menaces et actes d’intimidation » envers le préfet, avec qui il avait eu un face-à-face tendu. 30 mois de prison dont 15 ferme ont été requis contre lui mercredi. Rodrigue Petitot, qui comparaissait détenu, a finalement été condamné ce vendredi 24 janvier à un an de prison avec sursis simple. Il est reparti libre du tribunal.
Photo de Une : la députée socialiste de Martinique, Béatrice Bellay (au centre), est à l’origine de la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère Outre-mer. Adopté par l’Assemblée nationale jeudi, le texte est désormais entre les mains des sénateurs © Compte X Béatrice Bellay